Corbac

La mouche murmurant à l'oreille

Après de multiples erreurs, me voilà condamné à vivre avec ce Si bémol. Il est toujours là, depuis ce concert où je me suis approché un peu trop près des enceintes, et où je suis resté un peu trop longtemps dans la fosse. Ce petit démon m’accompagne pour briser le silence qui s’installe lorsque je rentre chez moi. Son sifflement est capable de me faire perdre mon sang froid, surtout lorsque ces griffes produisant des cliquetis désagréables viennent perturber ma réflexion, ou mon sommeil. Il joue toujours au moment où je souhaite me plonger dans le calme. Mais je ne lui en veux pas. Je me sens moins seul avec lui.

Bien que ce phénomène soit apparu suite à un dysfonctionnement physique de mon corps, je me suis rendu compte qu’il existait certaines nuisances dans mon quotidien. Finalement, je n’ai jamais été seul. Depuis longtemps, j’ai été entouré de diables et d’autres abominations qui rythment ma vie comme un véritable enfer.

Une limite physique

La peur de vieillir me semble légitime. Perdre ce que l’on possédait de manière arbitraire et brutale est une idée qui m’insupporte. La comparaison de l’âge d’une personne avec le vin est, à mes yeux, l’exemple d’une parfaite incompréhension de la définition de la sagesse et un déni sur la perte d’une qualité de vie qui semblait garantie. Les personnes malades le savent très bien. Un bras en plastique est contraignant. Une jambe augmentée l’est davantage. Notre corps est une machine hideuse, ne pouvant être facilement améliorée et réparable. Je me demande bien comment certains rêveurs peuvent penser révolutionner la médecine avec une base aussi faible. Il aurait été plus simple de recommencer from scratch en mettant de côté le travail de la nature. Les robots seraient ainsi de parfaits humains.

Si la vieillesse est souvent liée à la dégradation progressive, insidieuse et lente du corps humain, on peut constater une conséquence directe sur les capacités cognitives et les réflexions de l’individu concernés. Les maladies mentales comme la démence témoignent de l’impuissance à l’homme de rester jeune. Cette obsolescence programmée ne permet pas de conclure sur une stratégie platoniste : Apprendre serait inutile, car notre savoir est voué à disparaitre.

Pour autant, je vois cette fatalité avec une fausse légèreté gênante. J’ai pour habitude d’appeler les personnes plus âgées que moi “des vieux”. Mais en fin de compte, plus le temps accordé passera, moins j’aurai l’occasion d’en croiser. D’une répartie méritée, et sans mentionner un certain dédain, un homme m’a dit un jour : “Chacun son tour, ne t’inquiète pas”. Ce qu’il ne savait pas, c’est que je n’avais aucunement l’intention de vieillir, et ce, quel qu’en soit le prix.

Le voyage

“Cueillir le jour” et profiter de ce long voyage sans penser à la mort semble d’usage dans mon cercle proche. Pourtant, j’ai toujours eu du mal à m’en détacher, tellement elle me semblait bruyante. C’est encore une leçon que je révise quotidiennement. L’ignorer et de ne pas penser à la destination. L’ensemble de l’aventure entreprise possède un lot d’évènements uniques et permet de construire une histoire. En la relisant, on penserait même qu’il s’agirait d’une légende.

Rationnaliser ces évènements revient toujours à la comparer à un certain point, à une localité. Par exemple dans la comparaison de la douleur, elle est subjective et centrée sur nos expériences et notre sensibilité. Je pense qu’il est vraisemblable de dire que l’on désire tous une vie simple et douce. Que l’on souhaite une situation et un certain repère où l’on viendrait construire notre futur. Pourtant, la frustration engendrée de ne pas atteindre ce rêve ne doit pas être confondu comme la réalité au sens premier. Un objectif permet d’entamer le voyage et ce qui peut sembler paraitre comme un échec tente de relativiser l’emplacement réel du voyageur avec sa destination. L’effort déjà entamé semble être quantifié, et un biais cognitif, celui de l’effort perdu, entre en marche pour justifier l’arrêt du projet. L’imperfection doit être vu comme un moteur, et non comme un frein. Un peu comme une série de montagnes que l’on grimpe et que l’on descend. On s’arrête quelques instants pour contempler les pics et la vallée. Alors autant viser le toit du monde, n’est-ce pas ?

“Pour détruire un homme, qu’il réalise ses rêves.”

J’ai longtemps cherché à trouver mon soleil, et je dois me faire une raison : Il n’y a pas de montagne plus haute qu’une autre. Il n’y a pas de destination. Dans cette expérience de pensée, nous ne faisons que marcher à travers ce massif. Il n’y a pas de but. Et quand bien même je vivrai aussi longtemps que je le voudrais, jamais je ne pourrais visiter tous les sentiers et gravir toutes ces montagnes. Le bonheur ne se trouve pas en haut de l’une d’entre elle, mais bien dans la joie que j’éprouve en souffrant. S’arrêter, c’est arrêter de le percevoir. La finalité n’existe pas dans cette théorie, et cela induit que la mort est en dehors de l’équation.

La vieillesse n’est qu’une illusion. Elle est le spectre d’un temps où l’on se souci d’une absurdité que représente le mot ‘destination’. Les modifications corporelles sont permanentes. Bien qu’il soit plus probable que mon corps se détériore au fil du temps, cela n’empêche pas la condition de vivre. Il fallait sans doute voir les cicatrices de mon corps comme des trophées, manifestant ses précédentes expériences, et voir les rides comme des preuves des étapes passées.

Et pourtant, le ravin semblait si confortable. L’appel du vide me hantait. La peur de ne pas vivre ce que je voulais. Le regret et les remords. Cette vision triste des chemins inexplorés. Cette impossibilité de vivre plusieurs fois. De profiter de cette richesse en abondance. Peut-être que ce murmure qui se manifeste, n’est que l’effet de bord d’une soif de vie inextinguible. Le rien me fascine. Plus de souffrance. L’échec ne serait jamais atteint, car il n’y aurait plus rien. Le dilemme entre vouloir rêver éternellement et de savoir tout entreprendre est un paradoxe qui me conduit à en finir.

“Arrêtez de penser. Faites. Et vous verrez.”

Aujourd’hui, je n’ai pas encore réussi à gagner une certaine autonomie. Couper ces pensées irrationnelles est souvent le fruit d’un déclenchement extérieur. Réussir à poser mes mots sur cette particularité pour m’en libérer est devenue ma destination. C’est ainsi que j’entamais mon long et périlleux voyage.

Dormir

Cette sensation, quasi douloureuse, se produisait particulièrement lorsque j’atteignais cet état de demi-conscience que j’appelle “l’entre-sommeil”. La crainte qu’un insecte vînt se plonger dans mon oreille, pour s’y loger et me dévorer. Elle prenait toujours la forme d’une mouche, bruyante et ronronnant, tournant autour de ma tête et attendant patiemment que je baisse ma garde. En plein mois d’août, il faisait très chaud dans la chambre, je me cachais sous mes draps et mon oreiller. L’effet de l’inévitable transpiration ne semblait que l’énerver davantage. Je ne pouvais pas lui échapper. J’étais comme pris au piège face à un ennemi résolu à accomplir ce pourquoi il était venu.

Ma copine, réveillée par l’agitation, me voyait me battre contre une bête invisible sans marquer le moindre temps de pause. Elle me demanda ce qu’il n’allait pas. Faible, essoufflé et dégoulinant de sueur, je finis par lui répondre.
“La mouche… Il y a une mouche qui tourne autour de ma tête… Elle m’attaque… Et je n’arrive pas à l’avoir…”

Après quelques secondes d’observation et malgré son esprit embrumé, son constat était clair.
“Mais Louis… J’ai regardé, et il n’y a pas de mouche pourtant.
— …”
Je m’endormis, aussi paisiblement qu’un bambin dans les bras de sa mère.