Corbac

Aurore

Lorsque je regarde le ciel, j’espère y trouver un toit nuageux, qui grâce à sa lumière diffuse, viendra chasser les ombres. Grâce à lui, impossible de dire si l’on est le matin ou le soir sans s’aider d’une montre. Sans ombre ni soleil, le temps est comme figé dans un âge blanc, où toute forme d’anxiété ou de mélancolie semble être balayée.

Il m’arrive pendant ces rares jours de me reposer face à une fenêtre, contemplant cette aveuglante lumière blanche qui vient me caresser le visage. Je restais là, à la contempler, à me ressourcer. C’est un peu comme ci quelqu’un venait me rassurer, me répétant doucement à l’oreille que je n’étais plus seul, que ni le futur ni le passé ne comptait. Il ne restait que moi m’endormant dans ses bras. J’aurais tant voulu que mes rêves revêtent ce même voile d’innocence et de confort.

La chute

À mon réveil, je me retrouvais allongé dans une position inconfortable. Mon esprit était encore dans le brouillard, je ne sentais plus mon bras, faute de l’avoir laissé trop longtemps au-dessus de ma tête. Il m’a fallu quelques secondes pour que mon corps rétablisse la circulation sanguine interrompue. Il faisait encore nuit. Vieille habitude, ma première destination était la chaise de mon bureau, mon lieu de culte favoris où j’irai passer la matinée — si ce n’est pas la journée — sur mon ordinateur.

La routine témoignant d’un ennui profond de l’instant présent se manifesta par les multiples cliques rapides et précis de ma souris. Le geste avait été répété tellement de fois que je ne fis même plus attention : Mot de passe, allumage de mes réseaux favoris, Youtube, logiciels de musiques et quelques clients de jeux en ligne, bien évidemment. Un léger soupir s’échappa de ma bouche.

Je commençais par explorer les nouvelles sur un site d’actualité. C’est souvent une activité anxiogène que je me forçais de faire pour être au courant de ce qu’il se passait dans le monde. Maintenant, je m’amusais presque — avec un certain style d’humour fort douteux — à compter le nombre de mauvaises nouvelles.

“Fait divers : Un homme se retrouve coincé sous un train à l’arrêt et meurt d’un arrêt cardiaque.”
“Attentat au Mali revendiqué : au moins 6 soldats morts”
“Un avion de ligne s’échoue aux Philippines, la liste des 178 disparus n’est pas encore établi.”

“Bon, ça fera 185 ce matin. Quelle belle journée qui s’annonce” je me dis.
J’étais encore sonné, et difficile d’avoir l’esprit clair dans mon état. Je refais le fil de ma journée de la veille. Je me suis endormi dans l’après-midi, assoupi par une simple sieste qui aurait durée un peu plus longtemps que prévu. Je ne dors que très peu d’habitude, c’est d’autant plus fatiguant. Un mal de tête persistant me laissait croire que j’étais en train de subir une gueule de bois. Pourtant, je ne bois pas d’alcool, je n’aime pas ça. Je termine d’une traite le reste de la bouteille d’eau qui trainait sur mon bureau. Quelques gouttes glissèrent sur ma joue, mes lèvres étaient gercées. Je laissai l’écran allumé et retournai m’affaler dans mon lit. Mon portable, avec la luminosité au minimum, affichait faiblement 04:14. Je le cachai sous mon oreiller et fermai les yeux pour tenter de calmer cette migraine.

S’ensuit d’un cri d’un homme qui traversa le quartier. Je me levai brutalement, les jambes encore alourdies par la fatigue pour regarder à travers ma fenêtre. Le store était encore abaissé — le jour n’était pas encore levé — je me précipitai pour le l’ouvrir. Puis restât gravée dans mon esprit la vision la plus étrange que j’ai pu expérimenter.

Il n’y avait rien. Un vide noir et opaque me faisait face. Je m’attendais à voir les lumières vives et rougeoyante des lampadaires installés dans la rue. Peut-être qu’elles étaient simplement hors service. J’ouvris la fenêtre. Aucun son. La grande ville qui était là hier avait disparu dans un brouillard uniforme. Un instant passa. En y repensant après coup, mon réflexe aurait été de passer la tête pour chercher dans la rue une quelconque forme ou reflet lumineux. À la place, je restais là à guetter le moindre geste, ou un simple indice sonore.

Il n’y avait strictement rien.

J’approchai finalement doucement ma tête en dehors du cadre. Impossible de distinguer la façade de ma maison, d’ordinaire éclairée lorsque la nuit est tombée. Je regardai dans toutes les directions : même constat pour le toit, les autres fenêtres ou le trottoir. Je ne pouvais qu’apercevoir les rayons lumineux de ma lampe de chevet et de mon écran qui venait se perdre dans cette immensité infinie de noir. C’est un peu comme lorsque l’on voit les rayons du soleil plonger dans l’océan pendant une séance d’exploration sous-marine, sauf que c’était bien là, dans ce que je pensais être la surface.

“Il y a quelqu’un ?”

Aucune réponse. Je ne vis pas la réverbération habituelle que l’on peut rencontrer dans une rue déserte. Ma voix semblait s’être heurté à un mur spongieux, ne laissant échapper aucune onde sonore. Je recommençais d’une voix plus ferme.

“Hey! Il y a quelqu’un ?”

Même résultat. J’attendis une réponse. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Finalement, je pris enfin l’initiative de descendre de l’étage pour aller voir par moi-même. J’enfilai rapidement un jean, pris un pull et mon smartphone. Une marche à la fois, d’un pas simple, je pris mes clés et tourna la serrure. J’ouvris enfin la porte de la maison pour constater le même problème. Et là, d’un pas innocent, j’avançai vers l’extérieur. Ou plutôt je trébuchai. À l’instant où j’ai voulu poser mon pied droit dans cette masse obscure, me voila plongeant dans l’abime, avec comme dernière corde de survie me reliant à mon foyer mon cri d’horreur faisant écho à celui que j’avais précédent entendu. Ma maison s’éloigna pour ne devnir qu’un point blanc lumineux, laissant place au néant absolu.

Aux portes des ténèbres

Tous mes sens étaient en éveil. Mon ventre se cognait contre mes poumons. J’ai cru d’abord m’évanouir tellement cette sensation était insupportable. Je criais de toutes mes forces. Impossible de respirer. C’était la première fois que je vivais une chute libre. Je tentais de me débattre comme si j’étais pris dans un filet. Au bout d’une minute qui m’a paru comme dix années, je laissai mon corps tomber dans l’infini, en attendant que d’une manière ou d’une autre, je finisse écrasé contre une paroi invisible.

Puis une nouvelle minute s’écoula.

Puis une dizaine.

Puis, je pense, une heure s’était écoulé.

Plus le temps passait, plus je me détendais. J’avais l’impression d’être en apesanteur. Je m’imaginais incarner un astronaute qui s’était perdu dans l’espace. Mes vêtements semblaient flotter, ou alors, il serait plus exact de dire que je flottais à l’intérieur. Je n’avais plus de voix, ma gorge s’était déchirée par mes cris étendus et répétés. Mon ventre ne me gêna plus. Mon mal de tête, que j’avais complètement oublié au vu de l’événement, me rappelait qu’il était encore là. D’ailleurs, il redoubla d’effort pour me faire sentir sa présence. Dans le noir complet, je ne pouvais voir mes mains. Par instinct, je sondai ma poche de mon pull pour en ressortir mon smartphone. J’allumai la lampe torche qui éclairera l’ensemble de ma figure et l’avant de mon corps. J’étais bien là. En la pointant en face de moi, les rayons de la puissante LED blanche se perdirent dans l’oubli. Je tentai de me retourner — ou du moins j’essayai, car il n’y avait aucun repère visuel pour conclure sur ma réussite — pour explorer les autres directions. Je regardais au-dessus, en dessous, en vain. J’étais pris au piège d’une prison faite de vide.

“Combien de temps cela va durer ?” Je n’avais comme réponse un mal de ventre et la peur qui refaisait surface. Je lâchai la lampe torche, et elle ne tomba pas. Elle resta parfaitement immobile en face de moi. Je la repris et me mis à réfléchir. La douleur à la tête devint particulièrement pénible. J’ai l’impression qu’elle va exploser à tout instant.

Un nouveau point blanc fit son apparition au loin. Toute mon attention fut captée par cette nouvelle curiosité. Une irrésistible envie de m’évanouir s’ensuit. Mon corps n’avait que trop enduré cette aventure surréaliste. À demi conscient, je vis ce point grossir en dessous de moi jusqu’un disque où je ne saurais dire sa taille ou sa distance. Il grandit jusqu’à ce que je puisse distinguer des couleurs à l’intérieur. Il agissait comme un écran, où un paysage venait se dessiner au fur et à mesure. De l’ocre, du mauve, des nuances commencèrent à s’intégrer au tableau. Au bout d’un certain temps, la taille du disque se stabilisa, mais les nuances de couleurs étaient de plus en plus précises et venaient s’ajouter de nombreux détails.

Une montagne sans un seul arbre, pourvu de formes irrégulières, était au second plan, dominé par un ciel pourpre aux teintures crépusculaires. Deux colonnes antiques d’une taille cyclopéenne se dressaient avec des étranges glyphes — des caractères tous liés les un aux autres — inscrivant des écritures inconnues de leurs bases jusqu’à la mi-hauteur. Elles étaient gardiennes d’une entrée de qui semblait être une grotte. Le noir devenait de plus en plus présent au centre de l’œuvre. Le disque s’était transformé en une fenêtre donnant sur ce lieu inconnu. Mais les ombres de la grotte semblaient s’échapper progressivement, dévorant progressivement les couleurs, un peu comme une flamme que l’on plaça en dessous d’une photographie.

Mon regard plongeât au fond du trou noir. Les colonnes furent elles aussi absorbées. Puis suivit la montagne toute entière. Il ne restait du disque qu’un halo lumineux qui s’amincit, puis disparut. Sans sommation, je sentais mes pieds me séparer de mes jambes, et ces dernières s’arrachèrent de mon bassin une à une. La douleur était tellement vive que je ne puis la sentir les premiers instants. Mon dernier cri était suivi de gémissements. Je sentais mes entrailles se détacher, comme aspirées. Mes épaules laissèrent mon cou et ma tête seuls. Je fermais enfin les yeux, cette fin violente était mienne maintenant.

Rêve

Mon téléphone sonna. J’ouvris les yeux et je transpirais à grandes gouttes. Ma couverture était pleine de sueur, et mon corps était aussi lourd qu’après avoir couru un cent mètres au sprint. J’extirpai l’appareil de mes draps. 5h30. C’était mon réveil. Ma première pensée fut d’ouvrir le store de ma fenêtre. Non sans appréhension, je m’exécutai tout en repensant à ce que je venais de vivre, ou ce que je croyais avoir vécu. Ce cauchemar a laissé place à un spectacle que la nature m’offrait sous l’air d’une récompense insoupçonnée.

Aurora

Je n’ai rarement vu l’aube d’une journée, je me contente souvent du coucher du soleil. Mais je devais avouer que j’avais face à moi un superbe paysage mêlant d’un jaune éclatant à un doux rose. Je pouvais apercevoir des nuances harmonisant des couleurs que je n’aurais jamais imaginées rencontrer dans le ciel. Une légère brise agréable venait chasser ces nuages aux formes si particulières. On aurait dit qu’elle s’était alliée avec le soleil pour affronter les ténèbres qui s’étaient installées en ces lieux. Je commençai à trembler, non par le froid, mais de terreur. Non, j’étais bien réveillé. Et j’avais peur. Peur de ce que j’ai pu rêver. Que quelque chose s’était passé. J’ai pu dans ce voyage, découvrir la plus grande peur, et elle était on ne peut plus réelle. La boite de Pandore avait été ouverte. Ce paysage qui m’était peint n’était que le premier tableau d’une longue vie à fuir ce brouillard, à courir sans relâche après le soleil.

L’aurore, ce matin-là, sonnait comme le doux glas de ce monde.